L’incrimination de la migration, quel texte pour quel objectif ?
Quatre ans après l’entrée en vigueur de la loi n° 09-01 du 25 février 2009 relative à la criminalisation de la Harga (l’article 175 Bis 01 du code pénal), l’heure est au rendez-vous pour tirer les premières conclusions, étudier l’impact juridique voire même humain de ce choix longtemps controversé.
Depuis 2005, ce phénomène prend une ampleur sans précédent ou le nombre des candidats à cette traversée interdite « aux yeux des dirigeants des deux rives » enregistrent des chiffres inquiétants. Depuis, des centaines d’embarcations quittent chaque année le pays à la recherche d’une vie plus décente sous des cieux plus clément.
Après un long débat au tour de ce phénomène, la vision du législateur Algérien abouti au choix le plus tyrannique, consistant à criminaliser catégoriquement la Harga, a cela s’ajoute la promulgation (simultanée) de la loi 08 -11 relative aux conditions d’entrée, de séjour et de circulation des étrangers en Algérie. Venant ainsi remplacer l’ordonnance n°66-211 du 21 juillet 1966 relative à la situation des étrangers en Algérie (1).
Quel a été le mobile réel de toutes ces promulgations ?
La question mérite d’être posée. Sachant que la pluparts des pays du Maghreb ont conclu ces dernières années d’une manière officielle voire même confidentielle (selon certaines ONG), des accords qui ont pour objectif initial l’externalisation des frontières au-delà de l’Europe, (dont l’amendement des législations nationales n’était qu’une des étapes indispensables). De plus l’objectif n’est-il pas entre autre la volonté des décideurs Algériens d’en finir de ce dossier qui vient de démasquer le discourt officiel, l’image d’un pays ou « tout va bien » ? Sinon comment expliquer le désintéressement des responsables sur le sort des jeunes Harragas portés disparus en mer depuis. Aucune volonté n’a été manifestée pour élucider leurs sorts, à l’inverse de nos voisins Tunisiens qui ont fraichement mis en place une commission mixte « Italiano-tunisienne » pour résoudre ce drame. Chez nous points de statistiques sur leur nombre ! Au même moment Mr Kamel BELABED (Porte-parole du collectif des parents de Harragas disparus en mer) parle de quelques centaines de jeunes Harragas disparus en mer depuis 2007.
Quel est le champ d’application de l’art 175 bis 01 du code pénal ?
Article 175 Bis 01 du code pénal prévoit (sous la section 08 relative à l’Infractions commises contre les lois et règlements relatifs à la sortie du territoire national) « … est puni d’un emprisonnement de deux (2) mois à six (6) mois et d’une amende de 20.000 DA à 60.000 DA ou de l’une de ces deux peines seulement, … toute personne qui quitte le territoire national en empruntant des lieux de passage autres que les postes frontaliers ». A première vue, le texte semble explicite, claire et précis.
Par ailleurs les professionnels du domaine juridique font face à une série d’interrogations pour délimiter d’abord le champ d’application de cet article. À quel moment et à quel endroit peut-on parler d’un emprunt de lieu de passage pour migration illégale ?
Peut-on également considérer une quelconque embarcation se trouvant dans les eaux nationales comme une tentative de quitter le territoire national illégalement ? Au moment même où ledit article ne sanctionne pas la tentative !
Pis encore, quelle qualification peut-on donner aux faits préparatifs du délit d’el Harga et à quel moment peut-on parler du commencement d’exécution ? Si nous prenons en compte l’espace maritime national qui s’étale sur le bassin méditerranéen à 12 milles.
D’autre part, quel texte encore mieux quel principe juridique doit-on appliquer pour ceux interceptés dans les eaux internationales ? Sachant que dans ce cas le droit international est le premier à être appliqué, soit le respect du principe de « non-refoulement », ce qui nous renvoi directement à la convention de Genève de 1951 relative aux statuts des réfugiés ratifiée par l’Algérie en 1963 (2). Si en suppose bien qu’il y a parmi ces candidats à l’immigration des demandeurs d’asile (3), ces derniers une fois interceptés en mer sont donc dans l’incapacité de faire état de leur intention de déposer une demande d’asile. Les choses sont loin d’être aussi simple, une bataille juridique « sans merci » se livre à chaque procès.
Les Harragas sont doublement sanctionnés !
Au-delà de l’aspect théorique et critique sur ce phénomène, l’approche des praticiens de droit (les avocats) demeure différente.
La défense de cette catégorie de justiciables démontre bien qu’il y a des chefs d’inculpations qui sont souvent associés au chef d’inculpation principal : à savoir le départ illégal du territoire national. S’ajoute un deuxième chef d’inculpation, qui porte un préjudice considérable aux Harragas condamnés, tel que celui de « l’infraction à la loi du change ».
La quasi-totalité des Harragas possèdent lors de leurs arrestation une certaine somme d’argent en devise non-justifiée, dépassant dans la plupart des cas le montant de 450 €, acquise au marché informel sous le regard « bien-sûr » des autorités (4).
L’article 17 du règlement n° 07-01 du 03 février 2007 relatif aux règles applicables aux transactions courantes avec l’étranger et aux comptes devises, prévoit que «tout résident est autorisé à acquérir et détenir en Algérie, dans les conditions prévues ci-après, des moyens de paiement libellés en monnaies étrangères librement convertibles. Ces moyens de paiement ne peuvent être acquis, négociés et déposés en Algérie qu’auprès des intermédiaires agréés, sauf les cas prévus par la réglementation en vigueur ou autorisés par la Banque d’Algérie ». L’Article 21 rajoute que « les opérations de change entre dinars algériens et monnaies étrangères librement convertibles ne peuvent être effectuées qu’auprès d’intermédiaires agréés et/ou de la Banque d’Algérie ». Les faits prévus et sanctionnés par l’article 01 et 01 Bis 07, 09 de l’Ordonnance n° 10-03 du 26 août 2010 modifiant et complétant l’ordonnance n° 96-22 du 09 juillet 1996 relative à la répression de l’infraction à la législation et à la réglementation des changes et des mouvements de capitaux de et vers l’étranger. Article 01 bis mentionne bien que «Quiconque commet l’une des infractions prévues à l’article 1er ci-dessus est puni d’une peine d’emprisonnement de deux (2) ans à sept (7) ans et d’une amende qui ne saurait être inférieure au double de la somme sur laquelle a porté l’infraction et de la confiscation du corps du délit et des moyens utilisés pour la fraude ».
De ce fait les Harragas sont donc souvent condamnés pour ce deuxième chef d’inculpation à une amende ferme (sur le cas énoncé plus haut) de 236.183,04 DA ! Que voulons-nous faire avec ces Harragas ?
Maitre Farouk KSENTINI Le président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’Homme (CNCPPDH) déclare lors de son passage à la radio, la nécessité d’abolir la peine d’emprisonnement en laissant « d’après lui » uniquement la peine pécuniaire ! Désolé Maitre de vous rappeler qu’il s’agit là bel et bien d’une déraisonnable proposition, qui nous conduit à un faux débat, encore moins à une fausse revendication.
Du fait que la peine d’emprisonnement ferme est rarement prononcée, (de crainte qu’il y a des dépassements commis par les familles des Harragas après un pareil procès), de même pour nos prisons, qui sont dans l’incapacité d’accueillir les centaines de Harragas condamnés chaque année, l’idéal été de revendiquer carrément l’abolition complète de l’article de « LA HONTE » avant même sa promulgation !
Ce phénomène nécessite une compréhension rationnelle sur ses origines au lieu de gérer les conséquences : Une solution radicale vaut mieux qu’une solution amputée qui ne mène à nulle part.
Notes /
- Les débat à l’Assemblée populaire lors de son adoption peuvent être consultés, en arabe seulement, sur http://www.apn-dz.org/.
- Le décret N° 274-63 relatif aux modalités d’application de la convention de Genève de 1951.
- Sur la base du même principe l’Italie a été condamnée par la cour européenne des droits de l’homme, ceci pour avoir renvoyé des réfugiés interceptés en eaux internationales et refoulés collectivement en Libye.
- Voire notre contribution au journal ELWATAN du 10/03/2012. Titre : « le décret 10-201 relatif à la protection des tailleurs de pierres, une supercherie juridique », sous-titre « L’inapplicabilité des lois en Algérie ! ».
Lien : http://euromed-migrasyl.blogspot.com/2012/11/algerie-famonde-lincrimination-de-la.html